BIO
Pierre Chaumont est un artiste conceptuel vivant à Montréal (Canada). Son travail a été présenté aux États-Unis, en Chine, au Japon, en Corée du sud, au Liban, en Grèce, en Autriche, en Allemagne, au Brésil, en Slovénie, en Espagne et au Canada. Il est, entre autres, le récipiendaire du prix de l’atelier de l’île décerné par le MAC Lau (2018) et à reçu de nombreuses bourses par le Conseil des Arts et Lettres du Québec.
“There Is No Alternative.” Ce slogan, poussé par Margaret Thatcher dans les années 80, fait encore et toujours partie de notre psychée collective. Que ce soit en environnement, en économie, au niveau social ou en politique, l’individu se trouve rapidement découragé par le nombre d’efforts requis pour atteindre un monde meilleur. S'ensuit un défaitisme et une acceptation de ce slogan, et de ses ramifications, en échange d’un confort personnel de plus en plus restreint. Ces pertes, minimes mais constantes, amènent inévitablement à des conflits entre population et gouvernements. Manifestations, grèves, et boycotts sont alors utilisés. Historiquement mis en place par des membres de syndicats et personnes d’affiliation politique de gauche[1], l’avenue des réseaux sociaux amènera cependant, dès 2010, un nouveau système de participation et de participants. L’Aganaktismenoi en est un exemple.
La Grèce fut le pays le plus touché au lendemain de la crise économique de 2009. Au bord de la faillite, elle accepta, en échange de réformes sociales, plusieurs prêts produits par un consortium formé de la Commission européenne, la Banque Centrale européenne et l’IMF[2]. Ces changements ont mené à des mise-à-pieds massives, des réductions salariales et des pertes allant jusqu’à 50% dans les régimes de retraites[3]. Le mouvement d’Aganaktismenoi, apparaît au moment de la seconde vague de réformes en Grèce (2011- mi 2012) et s’inspire des actions d’occupation publique comme celui du square Tahrir au Caire ou des Indignados en Espagne. Dans le cas grec, ce sera entre autres le square Syntagma, ce parc faisant face au parlement, qui sera le centre des manifestations. La différence de l’Aganaktismenoi avec les mouvements revendications sociales traditionnelles vient de deux choses: le type de participants et son organisation interne.
Les premiers mouvements grecs contre l’austérité se caractérisent par une mobilisation de ce que Walgrave et Van Aelst catégorisent comme des “vieux” mouvement sociaux (cité dans Karyotis et Rüdig, 2018): des hommes, majoritairement de gauche, et membres d’un syndicat professionnel.
Par contre, avec l’Aganaktismenoi, on voit apparaître une nouvelle forme de mouvement social caractérisée par des actions non-partisanes et pacifiques misent en place par des individus étendues à travers le spectre politique, allant de l’apolitisme jusqu'à la droite conservatrice (Karyotis et Rüdig, 2018). À la base de ces rassemblements est une utilisation importante des réseaux sociaux, autant au niveau de la consommation de nouvelles politiques que de l’organisation pour des manifestations. Au travers de ce médium, les actions quotidiennes de l’Aganaktismenoi appelaient à une démocratie plus directe et redevable, en plus d’une fin aux mesures d’austérité. De même, dans son organisation, le mouvement fut beaucoup moins centralisé et se voulait un mouvement populaire, avec des assemblées autogérées, inclusives, diverses, fluides et sans leader (Castells cité par Karyotis, 2018).
Parallèlement, comme le mentionne Serntedakis, une idée du “Social” apparaît au travers de cette façon novatrice de faire. Cette notion s’incarne en “diverses activités et mainte formes de sociabilités pour démarquer les sphères de désintéressement, de solidarité et de subversion du gouvernement” (Rozakou cité par Sertedakis, 2017). Allant de la préparation communautaire de repas à l’hospitalité totale où aidants et aidés partagent le même toit, le “Social” deviendra un processus qui influencera d’autres initiatives hors de l’Aganaktismenoi et perdurera même jusqu'à la crise migratoire de 2015. Avec ceci, l’action politique individuelle devient donc une vision horizontale et déhierarchisée, hors d’une façon historique de faire.
Bien sûr, l’Aganaktismenoi n’est pas une solution parfaite et, comme le mentionne Serntedakis, il existe un lien très fort entre solidarité et crise. Plus la crise devient acceptée, autrement dit moins urgente, plus l’effort individuel et collectif s'essouffle, mais ce mouvement s’inscrit néanmoins comme un exemple, parmi plusieurs de l’époque, qu’il existe un changement possible. L’Aganaktismenoi nous montre qu’au travers d’une décentralisation de l’action sociale individuelle, d’une déconstruction de l’appartenance politique traditionnelle au profit d’assemblées horizontales, le tout soutenu par un système technologique reliant des personnes à l’intérieur autant qu’hors du spectre politique, un changement réel peut prendre place.
Au final, There Are Alternatives.
[1] Georgios Karyotis and Wolfgang Rüdig, The Three Waves of Anti-Austerity Protest in Greece, 2010–2015, Political Studies Review 2018, Vol. 16(2) p.158
[2] Giorgos Serntedakis, ‘Solidarity’ for Strangers: A Case Study of ‘Solidarity’ Initiatives in Lesvos, Etnofoor, Vol. 29, No. 2 (2017) , p.84
[3] idem
Photo credit: Alejandro Escamilla